LES ARTS DE LA PAROLE
2016. 93 min. hd. couleur.
Le cinéma d’Olivier Godin est un authentique cinéma national. Il cherche à établir par l’art et la parole les frontières imaginaires de ce pays rêvé qui ne s’est jamais concrétisé – à concevoir par l’entremise de la culture un territoire sur lequel peuvent cohabiter le présent, le passé et l’avenir d’un peuple qui n’aspire qu’à exister. Il se crée autour du conte, tradition orale à laquelle se rattachent explicitement ces arts de la parole, une « communauté » ; car l’acte de raconter, chez Godin, est un acte de partage. Voici un film qui nous invite à le compléter, à bifurquer du sentier dont il offre l’ébauche pour tracer en parallèle le nôtre ; le cinéma, ici, devient l’amorce d’un dialogue bien plus qu’un discours établissant l’ascendance de l’auteur sur le spectateur. C’est un songe qui se dissipe pour nous laisser rêver, à notre tour – dans un monde peuplé par les figures entrecroisées de Jacques Ferron, Laure Conan, Jeanne-Mance et Michel Faubert…
Le film s’empare du réel tel qu’il est, le détournant sans jamais se soucier du « réalisme » apparent de ce détournement. Comme si le simple fait de le raconter autrement permettait de transformer le monde, de fonder une brigade de policiers poètes ou d’affirmer candidement « [qu’]au cinéma Star Cité, il y a des films japonais tous les vendredis. » La parole, par sa simple force d’évocation, possède ici le pouvoir d’établir l’impossible en tant qu’aspect usuel d’une réalité parallèle. Il n’est pas question que la création soit prisonnière du monde tel qu’il est ; celle-ci s’en émancipe comme elle le peut, sans se soucier de conventions qui ne servent au final qu’à imposer et renforcer un certain statut quo validé par l’idée même qu’il existe une conception du réalisme à laquelle il faut adhérer.
D’emblée, le montage dissout les liens formels qui orientent la narration classique. On pourra tour à tour raconter musicalement, poétiquement plutôt que de manière linéaire ; la voix off fragmente ce que les fondus recollent, les plans s’enchaînent à la manière des mots dans une phrase. Puis ces phrases se défont pour libérer les mots qui iront se loger ailleurs, établissant de nouvelles juxtapositions lesquelles vont à leur tour créer de nouvelles images. On sent dans la forme un souci de « faire parler » le cinéma, de rapprocher son rythme du débit de l’élocution. Mais on pourrait aussi parler du jazz, penser le langage cinématographique propre au cinéma de Godin comme une décomposition de la mélodie dominante au profit de l’expression des nuances tonales. Chez lui, on s’éloigne vite du thème pour revenir à l’essentiel : l’inventivité.
Olivier Godin's cinema is a genuine national cinema. Through art and language, he seeks to establish the imaginary borders of a dreamed country that has never materialized - to conceive a territory, through culture, where the present, past, and future of a people who aspire only to exist can come together. He creates a "community" around storytelling, an oral tradition to which these arts of speech are explicitly connected, because for Godin, telling a story is an act of sharing. Here is a film that invites us to complete it, to diverge from the path it outlines and to draw our own in parallel, where cinema becomes the beginning of a dialogue rather than a discourse establishing the author's ascendancy over the viewer. It is a dream that slowly dissipates, allowing us to dream in turn - in a world populated by the intertwined figures of Jacques Ferron, Laure Conan, Jeanne-Mance, and Michel Faubert.
The film seizes reality as it is, diverting it without ever worrying about the apparent "realism" of this diversion. As if the simple fact of telling it differently might transform the world, to establish a brigade of poet police officers, or to candidly assert that at the Star Cité cinema, there are Japanese films every Friday. Here, language, through its simple power of evocation, has the ability to establish the impossible as a quotidian aspect of this parallel reality. Creation is not a prisoner of the world as it is; it emancipates itself as best it can, without caring for conventions that ultimately serve only to impose and reinforce a certain status quo validated by the very idea that there is a conception of realism to which one must adhere.
From the outset, the editing dissolves the formal links that guide classical narration. The story can be told musically, poetically, rather than in a linear fashion; the voice-over fragments what the slow transitions put back together, and the shots are linked together like words in a sentence. When these sentences come undone, they release language that can travel elsewhere, establishing new juxtapositions which in turn create new images. In this way, we sense a concern for "making cinema speak," to bring its rhythm closer to the pace of speech. But one could also speak of jazz, and think of the cinematographic language proper to Godin's cinema as a decomposition of the dominant melody in favor of the expression of tonal nuances. Here, one quickly moves away from the main theme to return to the essential: inventiveness.
texte : alexandre fontaine rousseau (24 images)
AVEC : michael yaroshevsky, michel faubert, étienne pilon, ève duranceau, jennyfer desbiens, adam kinner, daniel canty.
ÉQUIPE : écriture, montage et réalisation : olivier godin, direction photo : renaud després-larose, production : laurent allaire, direction artistique : maxime brouillet, son : ana tapia rousiouk et stéphane calce, distribution : la distributrice de films.